Extraits du discours de Sergey KURGINYAN au congrès solennel du mouvement « Essence du temps » dédié au centenaire de la Révolution d’octobre. Moscou, le 7 novembre 2017.

Lien vers la transcription intégrale du discours (en russe) : https://rossaprimavera.ru/article/34c9ab94

Lien vers la traduction anglaise complète : https://eu.eot.su/2017/11/30/sergey-kurginyans-speech-on-the-centennial-of-the-great-october-socialist-revolution/

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Au temps où la vision communiste du monde, sous forme d’un mouvement, appuyé déjà sur une solide scientificité apportée par Marx, a commencé à monter en puissance, le monde (je veux dire le monde occidental qui à l’époque était le seul à pousser en avant le processus historique), ce monde donc se trouvait dans un état d’abattement. Cet état venait du fait que les grands slogans de la Révolution française – Liberté, Egalité, Fraternité – avaient tourné au triomphe des forces prédatrices et impitoyables envers les démunis. Il n’était pas question d’égalité, de fraternité, ni de liberté pour ces démunis. Il n’y avait que leur exploitation abominable et inhumaine.

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Serguei Kurguinian

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Par ailleurs, l’hégélianisme, apparu sur la scène philosophique […] contenait un profond pessimisme. Car il sous-tendait la fin de l’histoire: l’esprit de l’histoire devait accomplir un certain travail et puis disparaître. Lorsqu’on entend aujourd’hui discourir sur la fin de l’histoire, la fin de l’art, la fin de l’Homme etc., il faut savoir que ces idées remontent d’abord à Hegel, et puis, plus près de nous, à Kojève, Fukuyama et autres. Cette école de la philosophie de l’histoire, à première vue glorifiait le mouvement historique. Mais en même temps elle était gorgée d’un grand pessimisme.

Les romantiques, qui à cette époque ont « privatisé » […] le désespoir venant de l’échec des promesses de la Révolution française, d’une part maudissaient la bourgeoisie, et d’autre part, rêvaient du retour en arrière. Pour le romantisme dit réactionnaire, le féodalisme était préférable au capitalisme.

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C’est dans ce contexte historique qu’est née la pensée de Marx : au moment du désespoir intellectuel et spirituel le plus profond.

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Marx est devenu un grand optimiste historique et l’opposant principal de Hegel. Sorti des rangs des Jeunes hégéliens et ayant adopté certains principes de son maître (la dialectique etc.), Marx a opposé au finalisme hégélien – c’est-à-dire au pessimisme historique – son propre apport : une possibilité de l’histoire infinie de l’humanité, après que toutes les entraves de ce qu’il appelait « l’aliénation » seront éliminées : l’aliénation des produits du travail humain, l’aliénation entre les Hommes, l’aliénation du sens créatif suprême. Voilà ce qui devait être liquidé, selon Marx, dans le processus d’élimination des obstacles que le capitalisme a mis sur le chemin du développement historique.

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Actuellement, nous savons beaucoup plus qu’au temps de Marx […] Mais déjà à cette époque il avait été dit : nous allumerons un nouveau soleil, nous surpasserons la deuxième loi de la thermodynamique, l’Univers cessera de se refroidir, l’Homme deviendra Dieu et accomplira les tâches qui revenaient à Dieu. Cet Homme libéré, l’Homme de la fraternité, est capable de tout – et c’est pour ce résultat d’humanisme suprême que nous menons notre combat.

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La vague de la révolution russe est née d’une part du grand espoir du bien absolu, d’autre part du sentiment de l’enfer sur terre qui était en train de se construire.

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Marx croyait fermement que le capitalisme était l’ultime stade de l’épaississement des ténèbres absolus. Voilà, les ténèbres s’épaississent complètement, et d’après le code religieux, qui était profondément ancré chez ces intellectuels (malgré leur athéisme déclaré), après le maximum de l’assombrissement, l’éclair doit frapper et purifier tout. Tout le monde doit voir la lumière, une nouvelle terre et un nouveau ciel.

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Que voyons-nous l’aujourd’hui ? Le capitalisme, est-il devenu le stade suprême de cet épaississement des ténèbres ? Il est clair que non. […] Le capitalisme a créé quelque chose qu’on pourrait nommer « le post-capitalisme ». Il a réussi à survivre par le biais de l’autoliquidation, de l’abandon de toutes ces constantes humaines fondamentales, parmi lesquelles il y avait tout de même un certain humanisme, un certain contenu humain.

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Quand le capitalisme a vu à côté de lui le communisme et a compris que celui-ci était voué à vaincre, le capitalisme a fait ce que personne n’attendait de lui. Il a renoncé à toutes ses bases […] remis en cause la famille, la propriété privée, l’Etat [exemple pour la propriété privée : le bail-in bancaire, appliqué en Chypre et autorisé désormais dans d’autres pays européens – note des traducteurs].

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Que voyons-nous en Ukraine ? Nous voyons l’arrivée au pouvoir – l’arrivée ouverte, déclarée – des forces, qui ne devraient plus jamais apparaître sur la scène politique européenne. […] La Pologne n’aurait pas dû permettre la construction en Ukraine d’un Etat dont le pouvoir est fondé sur l’idéologie de Bandera dont les atrocités envers les Polonais resteront dans la mémoire encore mille ans, tant qu’existera le peuple polonais. Mais ils ont permis de le faire ! Ils se sont unis avec les bourreaux sanguinaires de leur propre peuple. Pas des Russes, pas des communistes, mais de leur peuple !

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Nous nous avançons vers le post-capitalisme qui est nettement plus nuisible que le capitalisme proprement dit, lequel est issu du désir des élites de garder le pouvoir – même au prix de l’effondrement de toutes les constantes humanistes du capitalisme classique ; constantes qui n’étaient pas nombreuses mais existaient quand même.

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Maintenant, quelques mots sur la place que nous pouvons et devons prendre dans ce processus. […]

Une des constantes du nouveau mouvement communiste réside dans le fait qu’il ne va pas jouer au « D’abord la destruction de cet Etat – et ensuite nous commencerons à agir ». Ce jeu est impossible dans la situation actuelle. C’était une idée aussi géniale que risquée de Lénine, qui était due à la guerre mondiale, où les forces du capitalisme étant en grande partie paralysées. C’est pour cela que ce jeu a pu aboutir à une victoire. Mais actuellement, si l’on paralyse l’Etat ne serait-ce que pour 20 minutes, dans 30 minutes les Américains seront là. Et pour toujours.

Pour cette raison nous annonçons que notre première priorité consiste dans le fait de se battre pour la réalisation d’un projet radicalement différent de l’Etat. Mais nous n’allons pas nous battre ni par le biais de la destruction de l’Etat, ni via l’alliance avec les forces pro-européennes.

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La contradiction mondiale N°1 est aujourd’hui la contradiction entre les forces restantes du capitalisme classique et les ténèbres supranationales post-capitalistes […] Au sein de ce conflit nous ne pouvons pas ne pas tendre la main aux forces national-bourgeoises classiques, c’est-à-dire, les conservateurs [ici, et dans ce qui suit, il s’agit essentiellement du contexte politique de la Russie actuelle, ce qui n’exclut pas des alliances tactiques avec les forces similaires dans d’autres pays. Les forces conservatrices, liées à l’idée de l’Etat-nation et aux principes du capitalisme classique, sont représentées en Russie notamment par le président Poutine et une partie de son entourage, ainsi que par certains autres acteurs politiques – note des traducteurs]. Nous devons leur tendre la main tout en précisant que nous ne partageons pas leurs positions sur nombre de points.

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Une alliance entre la gauche et les conservateurs – nous considérons que c’est précisément cette alliance qui a l’avenir devant elle.

De la même façon nous soutenons l’alliance avec l’Eglise, plus précisément avec les forces saines de l’Eglise. Nous sommes conscients que l’Eglise a beaucoup de griefs contre le communisme. Mais nous tendons à l’Eglise la main de l’union.

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Notre orientation est la suivante : l’union avec les forces saines des conservateurs, l’union avec les forces saines de l’Eglise, constitution de cette alliance gauche-conservateurs et la correction du projet Rouge pour qu’à cette nouvelle étape il devienne l’héritier de tout ce qu’il y avait de grandiose et de victorieux en Union Soviétique, tout en rejetant la stagnation brejnévienne et la trahison gorbatchévienne.

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Les communistes rêvaient de l’idée de l’Homme nouveau, de la renaissance de l’Homme, mais a la fin de l’époque brejnévienne la place de cet Homme a été prise par la consommation. En réalité, chez nous a été crée le type soviétique de consumérisme.

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Nous cherchons actuellement, dans le cadre de cette réalité, la réponse à la question comment chercher et créer ce nouvel Homme. Nous créons des Communes. Nous parlons du fait qu’une bonne partie de la jeunesse considère la vie environnante comme un mal absolu et se détourne d’elle, tout en se rattachant à l’action sociale et politique au niveau du pays. Et nous en voyons déjà des résultats.

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Nous n’allons pas nous limiter aux appels « à bas ! à bas ! » ni à la collecte des signatures. […] Nous diffusons nos matériels, nous mobilisons nos historiens, nous voulons faire partie de l’avant-garde intellectuelle de la société de la Russie – d’une nouvelle avant-garde, qui entraînera les processus sociaux et historiques, qui ne sera pas une réunion des pleurnichards nostalgiques.

A bas la nostalgie ! Vive l’expiation de la culpabilité de ceux, qui avaient éteint la flamme Rouge. Et vive la nouvelle Flamme du grand renouveau du Projet Rouge du XXI siècle, indispensable à l’humanité.

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